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LE MONDE DIPLOMATIQUE

> DÉCEMBRE 1996     > Pages 4 et 5

 

LA POLITIQUE DE LA FRANCE EN QUESTION
En Afrique, la fin des ultimes " chasses gardées "

LE thème officiel du sommet franco-africain de décembre, à Ouagadougou, au Burkina-Faso " Bonne gouvernance et développement " directement calqué sur les formules en usage dans les bureaux du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, à Washington, serait plus convaincant si Paris avait commencé à appliquer cette recette à sa propre politique africaine. Le désengagement croissant, les incertitudes institutionnelles et la gestion chaotique des crises récentes Niger, Centrafrique, Zaïre prouvent qu'il n'en est rien.

 

Par PHILIPPE LEYMARIE


> France
> Afrique
> Etats-Unis (affaires extérieures)
> Coopération


 
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C'était en juillet 1996, à Brazzaville : rendant visite à un Congo à l'image d'une grande partie de l'Afrique dite " francophone " - appauvri, divisé, usé, sous perfusion -, le président français Jacques Chirac, regardant loin derrière et loin devant, s'était efforcé de renouer avec l'esprit du général de Gaulle, son modèle, qui avait promu cinquante ans plus tôt cette même ville capitale de la France libre, puis de l'Union française. Une reconnaissance des torts des anciens colonisateurs européens, responsables pendant quatre siècles d'une " extraordinaire saignée de l'Afrique, par la traite et l'esclavage ", dont le continent se ressent toujours, et qui exige encore aujourd'hui réparation. Un acte de foi dans une Afrique qui, loin des apocalypses du moment, s'apprête à renouer à nouveau avec la croissance, à " inventer ses propres modèles ", et à affronter les grands rendez-vous de la mondialisation.

Mais, pour le présent, un " afro-optimisme raisonnable ", appuyé sur une discrète révision de la pensée officielle : la réussite jugée " incontestable " des plans d'ajustement structurel, mis en forme par des institutions financières internationales longtemps critiquées par Paris, mais " indiscutablement humanisées " ; l'échec des démarches de conditionnalité politique mises en honneur par le président François Mitterrand, à partir du sommet franco-africain de La Baule, en 1990, qui n'auront engendré qu' " une démocratie de façade, sans adhésion de l'esprit et du coeur " ; l'ambition plus modeste désormais d' " inspirer un désir démocratique ", dans le respect des " spécificités " et de l' " authenticité " africaines, tout en continuant, grâce à l'aide au développement, de contenir une immigration " qui pourraît être ou devenir trop importante, et qui viendrait notamment d'une Afrique désespérée "  (1).

Il est vrai que ce " réalisme minimaliste ", ce " smig démocratique "  (2) dont paraît se contenter désormais l'exécutif français , sont - plus que de grands desseins gaulliens - en phase avec l'état réel d'un pays qui se découvre chaque jour un peu plus " puissance moyenne ", et d'un édifice politique franco-africain dont les piliers = coopération, monnaie, immigration, défense = ne cessent de se lézarder.

La paralysie, en pleine crise zaïroise, début novembre, du dispositif militaire français prépositionné en Afrique centrale - Gabon, Tchad, Centrafrique - est le signe le plus récent de cette " impuissance ". Pour la première fois, l'Etat français n'aura pas été en mesure de mettre en oeuvre lui-même, et rapidement, dans sa zone d'influence naturelle, une de ces interventions militaro-humanitaires dont il a longtemps eu la maîtrise quasi exclusive sur le continent noir.

Rejeté par le gouvernement rwandais, comme ayant pris fait et cause, dans le passé, pour le régime dictatorial du président Juvénal Habyarimana ; barré par les rebelles de l'Est zaïrois, comme étant partie dans le conflit, en raison de son soutien au maréchal Mobutu Sese Seko ; boudé par les Américains, auxquels Paris a pourtant été jusqu'à proposer, à partir du 10 novembre, pour emporter leur adhésion, de prendre la tête et la direction de l'opération, l'Etat français a payé sa politique imprudente et déséquilibrée ces dernières années dans la région des Grands Lacs. Il n'a pu tenir son rang, cette fois, aux yeux du monde et du " pré carré" francophone, tandis que la population des camps était laissée sans assistance pendant plusieurs semaines.

Dans l'incapacité politique d'y aller seul, Paris est apparu en effet comme " tétanisé" par le précédent de l'opération " Turquoise ", déclenché 1994 avec l'accord du président Mobutu Sese Seko, à partir des têtes de pont de Goma et de Bukavu. L'établissement, au sud-ouest du Rwanda, d'une " zone humanitaire sûre ", où s'étaient repliés les Hutus fuyant l'avance du Front patriotique rwandais, avait permis également le repli des miliciens " génocideurs " et des restes des forces armées rwandaises, et créé, avec l'installation d'un million de réfugiés dans des camps de fortune zaïrois proches de la frontière, un abcès durable. Et les conditions des explosions de ces dernières semaines...

Malgré - ou à cause ? - de la multiplication des offres de service de Paris, et des appels répétés, parfois pathétiques, du gouvernement français pour susciter des appuis ou ralliements à ses propositions, voire pour passer le flambeau, il aura fallu d'interminables semaines avant qu'une opération internationale soit mise sur pied, le principal partenaire pressenti - les Etats-Unis - réussissant à en retarder la mise en oeuvre concrète : ainsi, après la progression des rebelles, l'ouverture des camps et l'exode de la majorité des réfugiés vers le Rwanda, la mission de " sécurisation " à but humanitaire avait-elle perdu une part de sa raison d'être.

Depuis la vague des indépendances, dans les années 60, la France - seule ex-métropole coloniale à avoir maintenu des troupes sur le continent - est pourtant intervenue militairement en moyenne une fois tous les deux ans, et à trois reprises ces derniers mois en République centrafricaine, pour aider le régime du président Ange-Félix Patassé à contenir des mutineries de soldats  (3). La plupart des contingents permanents - 8 700 hommes prépositionnés d'Est en Ouest, en application d'accords de défense conclus avec sept pays - sont présents depuis plus de trente ans. Ces troupes relevant en majorité de l'infanterie de marine ou de la Légion étrangère, disposent d'un savoir-faire hérité, pour le meilleur et pour le pire, des temps coloniaux.

En dépit des profondes modifications du paysage géopolitique - la fin de l'affrontement Est-Ouest, la vague démocratique des années 90 -, le dispositif a été maintenu en l'état : il s'agissait de ne pas ajouter à la déstabilisation ambiante, de ne pas déplaire aux gouvernements des pays hôtes, et, pour Paris, de défendre, au moins autant que ses intérêts économiques (notamment pétroliers, en Afrique centrale), sa stature internationale  (4). " Seul le continent africain donne à la France l'illusion d'être une grande puissance ", ironisait un éditorialiste de l'opposition ivoirienne, après la deuxième intervention militaire française en quelques semaines en République centrafricaine  (5)...

Velléités réformatrices

CES dernières années, en raison du flou qui continue d'entourer les modalités d'intervention, les critiques de cette " coopération " militaire se sont multipliées : immobilisme, manque de transparence, priorité au bilatéral... Du côté de l'opposition socialiste, on souhaiterait, dans une étape transitoire, une rationalisation du dispositif des bases, qui serait concentré sur trois plates-formes stratégiques (comme Djibouti, le Centrafrique et le Sénégal), avec suppression des bases " politiques " (Gabon, Côte-d'Ivoire). Et une redéfinition des accords de défense, afin d'en exclure les clauses visant à la défense de régimes politiques  (6). Dans le futur, on préférerait pouvoir " multilatéraliser " la coopération militaire, en signant des accords avec des alliances régionales de sécurité, plutôt qu'avec des Etats, et en mettant l'accent sur de nouveaux axes de coopération, comme la formation civique des armées, la lutte contre les trafics d'armes et de drogue, etc.

L'Observatoire permanent de la coopération française  (7) préconise de son côté " un élargissement progressif et non discriminatoire des dispositifs de formation de la coopération militaire française hors du " pré carré" ", ainsi qu'un appui au projet de création d'une force interafricaine d'intervention qui permettrait de " dégager la France de sa trop grande proximité de certains régimes africains ". Cet organisme relève également que, jusqu'ici, la France n'a pas mis son savoir-faire militaire et ses moyens, pourtant sans équivalent sur le continent, au service de la création d'un " espace africain de sécurité ", pour accompagner les tentatives sous-régionales d'intégration politique ou économique.

Dans l'immédiat, les pouvoirs publics français paraissent surtout soucieux , à la lumière des mutineries de soldats de ces derniers mois dans plusieurs pays francophones  (8) , d'aider les Etats à payer le plus régulièrement possible les soldes des militaires ; d'éviter de se trouver pris dans l'engrenage d'interventions à répétitions, comme en Centrafrique ; et de mettre en place des systèmes d'analyse et d'alerte fiables, afin de ne pas être le jouet des événements, comme cela a paru se produire lors de plusieurs crises africaines.

La profonde réforme de l'armée de terre française , avec professionnalisation complète et réduction d'un tiers des effectifs , devrait amener, dans les cinq ans, quelques changements outre-mer, même si Paris a promis que le réseau de bases en Afrique ne serait pas substantiellement affecté. Un allégement du dispositif Epervier, au Tchad, ainsi qu'une baisse d'un quart des effectifs de la base de Djibouti , la principale installation militaire française à l'étranger , sont cependant prévus, de même qu'une modification du régime des affectations : une logique de têtes de pont, avec effectifs permanents réduits et renforts tournants, tous les trimestres, se substituerait à l'actuelle logique de garnison, pour des raisons d'économie et de motivation des troupes métropolitaines, au risque de commencer à perdre ce qui était un des atouts historiques de ces unités : leur connaissance unique du terrain  (9).

Une telle évolution est déjà largement amorcée dans le domaine civil, où il n'existe plus de formation spécifique pour les coopérants et diplomates affectés outre-mer. Elle recoupe le débat sans fin sur l'organisation institutionnelle de la coopération, et notamment sur l'étendue de son champ. Soit limité au " pré carré " francophone, dans le cadre d'un maintien de la spécificité des relations franco-africaines à l'ancienne (comme les pratiquent encore les " cellules " africaines de l'Elysée). Soit étendu à l'ensemble du continent (comme ce serait le cas d'un ministère délégué à l'Afrique, une des hypothèses envisagées par les socialistes) ou à tous les pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique), comme pour l'actuel ministère de la coopération (dont la dotation budgétaire n'a pas été augmentée pour autant). Ou encore indifférencié, dans le cadre d'une réintégration au droit commun, le Quai d'Orsay s'occupant aussi bien -

ou aussi mal ! - du Congo que du Honduras, de la Guinée que de la Chine.

Les velléités réformatrices de M. Alain Juppé, le premier ministre français, qui - quelques mois après sa nomination, en juin 1995 - avait justement cru pouvoir annoncer pour 1997 la disparition du ministère de la Coopé-ration  (10), ont buté sur la résistance d'un lobby " foccartien " encore vivace  (11). A l'occasion du sommet de la francophonie, en 1995, à Cotonou, le président Chirac avait tranché en faveur du maintien d'une structure ministérielle spéciale, comme interlocuteur privilégié des Etats africains. Il ne laissait à son chef de gouvernement, dans le cadre de l'impossible réorganisation d'un secteur connu pour son foisonnement et sa propension à offrir un espace à des guérillas administratives franco-françaises-coopération, affaires étrangères, Trésor, défense, équipement, francophonie, audiovisuel, etc. -, que le soin de présider un fantomatique comité interministériel d'aide au développement.

Ce débat, presque aussi ancien que la Ve République, ne retrouve un véritable intérêt que parce que le navire de la " Françafrique " tangue, entre mutineries et accusations de complicités de génocide, dinosaures revenants et rectification politique, charters d'immigrés et dévaluation " historique " du franc CFA. Avec - sur fond de misère, d'insécurité, de diminution constante de l'aide publique française  (12) - une francophobie croissante. En témoignent, par exemple, la destruction par des manifestants du centre culturel français à Bangui, en mai dernier ; ou les vives protestations au Mali, en août 1996 - après l'évacuation des immigrés de l'église Saint-Bernard, à Paris. De la base au sommet on a accusé la France d'avoir " oublié " l'impôt du sang payé, pour elle, par des Africains, dans les conflits coloniaux et les guerres mondiales.

Au même moment, en octobre dernier, le chef de la diplomatie américaine, M. Warren Christopher, effectuait une tournée sur le continent africain qui n'avait pas eu d'équivalent depuis six ans, avec pour première étape, un pays francophone - le Mali justement. Prise pour cible, tout au long de ce voyage, la France fut ouvertement soupçonnée de traiter ses colonies " comme un domaine privé ", de maintenir des " liens paternalistes " avec l'Afrique, de prétendre continuer à exercer une " patronage exclusif " sur des " sphères d'influence "  (13). Tandis qu'était présentée une proposition pour un " nouveau partenariat politique et militaire " entre le continent noir et les Etats-Unis, pouvant déboucher sur la création d'une " force africaine de réaction aux crises " qui bénéficierait du financement, de l'entraînement, de l'équipement et du soutien logistique des forces américaines  (14). Le chef du département d'Etat, foulant allègrement les plates-bandes du petit " parrain " français du continent noir, renouvelait ainsi, l'avertissement lancé dès 1994 par le défunt secrétaire au commerce, Ron Brown, issu de la communauté noire américaine : la théorie du partage des responsabilités, qui avait cours durant la guerre froide, n'a plus lieu d'être ; le temps des " chasses gardées " en Afrique est bien fini.Et un diplomate américain, à Bamako, pouvait ironiser, à l'africaine : " La France est comme la première épouse, celle qu'on n'a pas choisie. Nous sommes la deuxième femme, souvent la préférée  (15) . "

PHILIPPE LEYMARIE.


(1) Le président français, dans un discours à Libreville (Gabon) soulignait à la même époque, que 200 millions d'Africains -1 sur 3- vivent avec moins d'1 franc français par jour, et que " si cette situation devait perdurer, elle ne serait pas sans conséquences sur les grands équilibres mondiaux, et notamment l'émigration".

(2) Cf. François Soudan, " France-Afrique : les mots et les choses ", Jeune Afrique, Paris, 7 août 1996.

(3) Cf. Philippe Leymarie, " Gendarmes et voleurs ", Le Monde diplomatique, juin 1996.

(4) Cf. Dominique Bangoura, Rapport 1996, Observatoire permanent de la coopération française, Desclée de Brouwer, Paris, 1996.

(5) Le propos avait été relevé par un envoyé spécial du New York Times à Libreville, sous le titre : "8700 soldats pour le prestige et les affaires "( Cf. Courrier international, Paris, no 291, 30 mai 1996).

(6) Les clauses relatives aux missions internes n'ont pas été publiées au Journal officiel.

(7) Cet organisme, qui regroupe une cinquantaine de personnalités, organise des débats et publie un rapport annuel sur la politique française de coopération.

(8) Cf. Claude Wauthier, " Dures épreuves pour les démocraties africaines ", Le Monde diplomatique, septembre 1996.

(9) L'entretien du dispositif militaire français en Afrique revient à 1 milliard de francs par an, environ (non comprises les opérations spéciales, comme Almandin 1 et 2, cette année, en République centrafricaine, ainsi que la dernière en date, à Bangui, à partir du 16 novembre 1996).

(10) La suppression de ce ministère avait également été réclamée par M. Lionel Jospin.

(11) En principe retiré, par ailleurs très âgé et souffrant, M. Jacques Foccart, considéré comme le " parrain " historique des réseaux gaullistes, notamment en Afrique, continue de s'entretenir avec les présidents africains " amis de la France ", en liaison avec l'Elysée.

(12) Selon l'Observatoire permanent de la Coopération française, l'aide publique française au développement a été de 45,4 milliards de francs en 1996 (0,56 % du PIB), poursuivant l'effritement constaté ces dernières années (0,60 % du PIB en 1995, 0,64 % en 1994). Il convient d'en retrancher 5 milliards de francs, destinés en fait aux territoires français d'outre-mer.

(13) Cf. Africa News Report, 15 octobre 1996, ambassade des Etats-Unis, Paris.

(14) Le coût de cette force serait évalué à une quarantaine de millions de dollars. L'aide publique américaine au développement ne représente au total que 0,15 % de son PNB, en réduction d'un quart sur l'exercice 1994-1995, avec seulement un cinquième pour l'Afrique au sud du Sahara. En revanche, le commerce américano-africain a été en augmentation de 12 % en 1995, atteignant 18 milliards de dollars.

(15) Cf. dépêche de l'Agence France Presse, 14 octobre 1996. Et aussi " L'Afrique courtisée ", Le Cafard libéré, Dakar, 17 octobre 1996 (ce périodique est l'équivalent sénégalais du Canard enchaîné français).

 


LE MONDE DIPLOMATIQUE | DÉCEMBRE 1996 | Pages 4 et 5
http://www.monde-diplomatique.fr/1996/12/LEYMARIE/7472.html

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